4 octobre 2003 - Berdine a trente ans

Berdine, le 4 octobre 2003

TRENTE ANS... Le 17 octobre 1973, j’arrivais dans cette Bergerie de Berdine perdue dans la montagne à 4 kilomètres du village du BROC, dans les Alpes-Maritimes. Je venais de quitter à regret Juçaral où pendant plus d’un an, j’avais partagé avec Colette, dans une petite communauté de base, la vie des plus pauvres, les coupeurs de canne à sucre, dans le Nordeste brésilien.

Depuis le mois de juin, Henri, avec un petit groupe de 6 ou 7 personnes m’attendait, étant entendu entre nous que dès qu’il serait prêt à s’engager « au service de l’Évangile», je le rejoindrais. Mais l’attraction qu’exerce le Brésil est très particulière, j’avais du mal à « abandonner » mes frères brésiliens, et c’est enfin pour répondre à de multiples appels au secours, que j’atterrissais à LISBONNE et rejoignais en auto-stop en moins de 48 heures, le lieu-dit « la Bergerie de Berdine », propriété de Henri que nous avions visitée ensemble dans le passé.

Ses premiers mots pour m’accueillir furent : « Tu arrives trop tard, je ferme ! », Quel choc ! C’est ainsi qu’a commencé mon odyssée berdinoise, je venais d’avoir 24 ans.

Trop tard peut-être, mais Berdine n’a pas fermé ses portes...

Je serais restée 15 jours supplémentaires à Juçaral, j’aurais reçu moi-même le visa permanent que l’État brésilien se décidait enfin à m’accorder. Aurais-je eu alors le courage de tenir ma promesse ? Combien de fois n’ai-je pas regretté ce retour en France durant ces treize mois terriblement éprouvants passés au Broc ! Mais d’autre part je me sentais profondément investie d’une lourde responsabilité et ne pouvais faire autrement que persévérer. Cette vie, je l’avais voulue et portée pendant des années, et cette longue gestation explique pourquoi et comment je suis encore là aujourd’hui pour exprimer cette réalité.

Rassurez-vous, je n’ai pas attendu 30 ans pour comprendre que je ne devais rien regretter. Berdine a été, est encore, un germe, une espérance de Vie pour tant de personnes que je ne peux que me réjouir des chemins que la Providence nous a fait emprunter.

Si je me permets de faire ce petit retour vers nos racines communautaires, c’est que très souvent l’on me questionne sur les motivations qui sont à la source de cet engagement. C’est tout simple, l’enthousiasme du néophyte qui veut tout donner, tout supporter par amour, pour lutter à sa mesure contre la cruauté du monde, puis, au-delà de l’épuisement, la constance, celle de parents qui n’abandonnent pas leurs enfants sous prétexte qu’ils sont trop turbulents. Et cette persévérance de chaque jour dans la confiance, c’est avec l’aide de Jean-Pierre que je la vis depuis 20 ans.

Je peux parler aussi de l’aide des « anciens ». Ces hommes qui sont arrivés à Berdine il y a 5, 10, 15, 19 ans. Il sont devenus de merveilleux amis, piliers fragiles car vieillissants, bien sûr, mais forts de leur attachement à cette grande maison toujours ouverte qui ne cesse de les bousculer dans leurs habitudes bien légitimes pourtant. Je dirais donc que ces cinq dernières années ont été pour moi, non pas la découverte, mais l’approfondissement de cette relation vraie qui ne s’appesantit d’aucun détour. Nous avons traversé des périodes difficiles de remise en question mais ensemble nous avons remonté la pente. Ensemble, nous avons intégré dans le fonctionnement de Berdine la venue de trois salariés, dont un ancien berdinois, ce qui n’était pas une petite affaire, compte tenu de notre culture du bénévolat et des relations humaines.

Je dois parler aussi de l’aide des « anciens berdinois ». Ces hommes, ces femmes, ces familles, partis de Berdine, qui proches ou lointains géographiquement, sont à nos côtés toujours prêts à réconforter, à rendre service, quotidiennement, pendant leurs vacances, le week-end. Ils sont une véritable consolation dans les jours difficiles, par leur relation avec nous bien sûr, mais surtout par leur manière de vivre qui force l’estime.

Et puis, il y a l’aide de tous les amis qui se sont beaucoup rapprochés de nous ces dernières années. Il faut dire que j’avais lancé quelques cris d’alarme. Ils ont été d’autant plus entendus que Ana-Thao, Marie-Andrée et Jean-Michel sont venus partager notre vie.

Le 4 octobre 1998, l’avenir me faisait peur, aujourd’hui, le vécu des dernières années me commande la confiance, sachant toutefois que tout est bien fragile. Mais comme vous le constatez en arrivant sur le plateau de Courennes, ce hameau est bâti sur le roc. Le roc de la Confiance en l’action de l’Esprit en toute personne, de l’Espérance en l’évolution positive de chacun, de l’Amour à partager. Ce rocher qui nous a portés pendant trente ans, qui a vu déferler tant de tempêtes et nous en a sauvé d’autant, saura bien nous soutenir pour franchir toutes les évolutions nécessaires à notre survie.

Et pour cela, nous ne pouvons nous passer de l’aide de tous les êtres chers que la maladie a emportés ces cinq dernières années. Ils sont, avec ceux qui les ont précédés dans la Vie Éternelle, nos racines bien profondes dans le petit cimetière auprès de la chapelle de Notre Dame de Courennes ou ailleurs, les Petit Jean-Pierre, Raymond, François, Alain, Momo, Georges, Marc, Paule, Chesley ... Nous ne les oublions pas.

Vous savez aussi, que Berdine tient beaucoup à ses actions dans les Pays du Sud.
De ce côté là, l’attention s’est un peu refroidie au fil des ans, l’état de nos finances en étant la principale cause. Mais il faut dire que le dispensaire de LUBUMBASHI au Congo dont nous avions financé la construction, est terminé et fonctionne parfaitement avec Marie-Bernadette, Monique, et Jeanne qui leur apporte un important soutien financier ; la communauté de DARA au Sénégal a été reprise par une institution religieuse autonome ; le départ du Père Charles du Village RENAISSANCE au Togo, a fait baisser, à tort, notre intérêt pour cette très belle œuvre de réinsertion de prisonniers. Par contre nous continuons à financer la formation d’un éducateur de rue en Haïti, à participer financièrement au quotidien de l’ARCHE DE NOE et à l’entretien de l’école et la crèche à JUCARAL, lieu de Vie resté cher à mon cœur durant ces trente années et au cœur de tous les berdinois qui ont la chance d’accueillir Colette au moins tous les deux ou trois ans, comme ce fut le cas la semaine dernière.

Je donne enfin la parole aux berdinois, comme nous l’avions fait il y a cinq ans. Entre temps, nous avons installé le téléphone, aussi nous recevons moins de courrier... Mais vous goûterez à l’ultime cadeau du « Petit Jean-Pierre » qui n’en était pas avare ; je vous laisse le découvrir.

Je vous redis mon immense gratitude pour votre aide matérielle, morale, spirituelle et votre confiance qui nous ont permis de parvenir jusqu’en cette belle journée où François d’Assise, notre compagnon de toujours, se réjouit avec nous.

Josiane